Les pieds à plat, les poings ouverts (par Frédérique Lamblin)
Les danseuses dansent.
Les danseuses lisent.
Elles font semblant de lire, souvent. Elles lisent pour de vrai, parfois.
De toute façon, on les croit.
Parce qu’on aime bien s’imaginer à leur place.
Je me demande si je suis aussi gracieuse qu’elles quand je lis.
Je me demande si elles ont choisi les livres qui sont sur scène.
Les danseuses s’allongent dans leurs livres. Elles jouent au plaisir sous la couverture. Je n’arrive pas à lire les titres des livres.
Je suis presbyte.
L’une glisse dans l’histoire et sur le dos de l’autre.
Corps croisés, roulés, aplatis, re-formés.
Les mots lui collent à la face.
Elle change d’histoire.
Elle lui la prêtera. Peut-être.
Ou elle prendra celle que l’autre a dans les mains.
Celle qui habite son corps.
Celle qui la met en mouvement.
Elle peut disposer maintenant.
Elle peut disposer autant d’histoires qu’elle veut.
L’autre fera son chemin entre elles. C’est sûr.
Les pieds à plat. Les poings ouverts.
Tu sais, elles font ce qu’elles veulent.
Tu sais, elles sont qui elles veulent.
Tu sais.
À chaque instant elles peuvent décider de changer.
À chaque instant elles peuvent décider d’échanger.
De prendre la place de celles qui habitent ces pages.
D’enfiler leurs vêtements de seconde main en seconde peau.
Elles semblent dire La roue tourne en continu.
Elles semblent dire On choisit son récit.
Elles semblent dire La danse est infinie.